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Enquête : l’état d’urgence freine la fête en France

“On ne peut plus faire un festival en occultant le risque d’annulation”

  • Thomas Andrei • ILLUSTRATION: PATCH KEYES
  • 2 August 2017
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Justifications et sacrifice

Seulement, pour pallier au manque de préparation, pour éviter toute prise de risque, l’état d’urgence est dans certains cas la carte à dégainer pour couper l’herbe sous le pied de tout festival naissant. C’est du moins le sentiment d’Irénée, organisateur du Metz Festival. Pour sa huitième édition, prévue les 23 et 24 juin derniers, l’évènement qui prend toujours place dans des lieux atypiques, de châteaux aux églises, devait passer un pallier et accueillir 5 000 fêtards. L’action menée par Sutter Events est sponsorisée par la ville et la métropole. Pourtant, à quelques heures du coup d’envoi, la partie est également annulée.

Par e-mail, la préfecture se justifie: “Le dossier déposé tardivement, en date du 20 juin, a fait apparaître une incapacité pour les organisateurs à garantir toutes les conditions de sécurité nécessaires au regard de la réglementation des établissements recevant du public. Le dossier a montré de lourdes carences, concernant notamment les zones de dégagement et issues de secours, non suffisantes en nombre pour permettre une évacuation en cas d’incendie ou de panique. Par ailleurs, les bâtiments sollicités ne sont pas prévus pour ce type de manifestation. De même, le cahier des charges de l’exploitant n’autorise que des places de spectacle assises ou des salons pour un public visiteur.” Des justifications somme toutes raisonnables, mais qu’Irénée réfute. Torse nu dans son studio, il dégaine: “Ça, c’est ce qu’ils disent ! Certes, le dossier a été déposé tardivement. Mais tout le monde était au courant. Ils nous ont envoyés eux-mêmes sur ce bâtiment qui appartient à la ville. Ils nous ont mis en confiance en disant : oui, on connaît les conditions ; oui, on connaît les délais. Ce n’est donc pas une excuse valable.” Une semaine avant l’évènement, le dossier est d’ailleurs déclaré recevable sous condition. Irénée dévoile : “On devait augmenter le nombre de bénévoles qui pourraient s’occuper du terrain après l’événement. On a refait un dossier pour mettre ça à jour. Deux jours avant la date ils ont rappelé pour dire que ce n’était pas assez.” Dans son bureau, l’équipe du festival réagit à l’annulation de dernière minute avec émotion. Certains n’arrivent plus à parler, d’autres tremblent, ont les larmes aux yeux. Des mois de travail sont réduits à néant. Seul Irénée ne s’autorise pas de sentiments, appelle son assurance puis ses contacts à la préfecture. Mais rien n’y fait. Il souffle: “Ils nous ont dit que dans le cadre de l’état d’urgence, la sécurité ne pouvait être assurée. Pourquoi ils font ça ? Parce que dans la situation actuelle, ils n’ont envie de prendre aucun risque.”

À cette frilosité compréhensible, Irénée ajoute un grief moins acceptable. “Ce type d’événement n’est pas bien vu, dès le départ, assure-t-il en serrant les dents. C’est le plus gros problème. Si c’était pour organiser un bal folk, on aurait jamais eu de souci. L’idée du festival techno, le premier à se faire ici, ça leur a fait peur.” Si on suit le raisonnement, les festivals de musique électronique, pas vraiment dans la culture des autorités, seraient donc sacrifiés sur l’autel de la sécurité publique. Également président de Technopol, Tommy Vaudecrane d’AREA 217 a l’habitude de traiter de la question avec les pouvoirs publics. Si le mot “sacrifice” lui semble excessif, il reconnaît qu’un mauvais procès est parfois intenté aux manifestations électroniques. “On a eu beaucoup à se justifier sur notre public, relate-t-il. Ils ne le connaissent pas. Donc on a dû fournir des éléments rassurants pour démontrer que ce n’était pas une horde de sauvages qui allait débarquer.” Les annulations sont aussi plus faciles à prononcer face à des acteurs pas tout à fait chevronnés. Il précise : “On souffre souvent d’erreurs de jeunesse dans la musique électronique. Les festivals de musique actuels ont tous 15 ou 25 ans. Chez nous, à part Astropolis, aucun n’a 20 ans. Des erreurs sont commises dans les relations avec les institutions. On utilise ça contre nous. Quand tu as une culture qui est moins ancrée dans le tissu social et qui est souvent accusée de créer des problèmes, puis qui en plus n’a pas le niveau d’expérience des autres acteurs, c’est plus facile d’interdire.

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