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The Hacker, tout pour l'EBM

2 heures avec le pionnier de l'EBM à la française

  • Jacques Simonian | Photos : © Jacob Khrist
  • 26 May 2020

En trente ans d’activité, The Hacker a su rester fidèle à une ligne de conduite, musicale et éthique, qui ne s’est jamais brisée. Malgré que les années aient filé à la vitesse dont les grains de sable glissent indéniablement entre les doigts d’une main, aussi serrée soit-elle, le producteur garde le cap et continue de regarder devant lui.

Entre ciel bleu et gris, après-midi et nuit, jeunes pousses et artistes confirmés, Michel Amato dans le civil dit The Hacker derrière les platines s’est parfaitement fondu dans le line-up bourgeonnant de la première édition de MIDIMINUIT. Traversant son set comme l’océan des âges avec comme phare et gardiens son EBM signature et des tracks de Dopplereffekt, le producteur grenoblois a, en deux heures, esquissé une douce allégorie de sa longue carrière. 120 minutes, c’est également le temps qu’on a passé avec cet homme de maintenant 47 ans, qui souhaitait revenir sur ce qu’il avait accompli pour son amour de toujours : la musique électronique. Il fallait bien ça pour retracer cette histoire haletante, marquée de sommets et parfois de creux, qui a commencé dans des années 80 rythmées par une new-wave dominante.

« Je ne suis plus tout jeune lance The Hacker. Quand je l’étais, j’écoutais Depeche Mode, Duran Duran, New Order, Kraftwerk… », toute une panoplie de groupes, auxquels il faut rapidement ajouter des musiques plus dures, comme Front 242, et déjà, de l’EBM, « à la grande mode pour la 25e fois en 20 ans. » Avec ce background épars, mais précis, et sans vraiment s’en rendre compte, le jeune homme vient de se lier à toute une culture dominée par les machines. Son premier achat, un synthétiseur KORG MS20, il le fait à ses 17 ans avec une idée toute identifiée en tête : « faire de la musique ». Ce n’est que quelques années plus tard, quand la décennie 90 chasse la précédente, que son souhait principal s’affine, et de musique, glisse à musique électronique. La découverte de 808 State, Inner City, et toute cette mouvance plus house et acid façonnée via des drum machines, accentue son choix.

Si les années 90 font souffler un vent nouveau dans la musique, elles donnent à Michel Amato le goût des sorties nocturnes. Dans ce monde, il rencontre toute la faune de noctambules qui les anime. Au Magic, ce club mitoyen au domicile de ses parents, il fait la connaissance d’une « gogo danseuse », Caroline Hervé, alias Miss Kittin. Ils ne le savent pas encore : plus tard, leur destin sera lié. Pour le moment, en 92, 93, l’heure est à l’organisation de raves, ces « teufs peuplées de si peu de gens, que tout le monde se connaît, au moins de vue. » Aspiré par cet univers, The Hacker décide de poser ses mains sur des platines. Ses débuts, il les réalise en tant que producteur de musique hardcore, en duo, avec son collègue The Money Penny Project. Sous couvert du pseudo commun XMF, les BPMs s’emballent, les MS20 rugissent. Il ralentit pourtant vite les pulsations et laisse ce premier flirt derrière lui.

Le nouveau millénaire n’est pas encore là que The Hacker décide de s’y préparer. Dès 98, il pose les fondations de Goodlife Records avec Oxia et Alex Reynaud. L’aventure durera 10 ans : « on a bien fonctionné au début et connu un succès non négligeable. Ça s’est essoufflé sur la fin, à cause de différends d’ordre musicaux avec Oxia. » Lorsqu’on lui demande de piocher un souvenir pour symboliser cette période, Michel Amato choisit « Fadin Away, remixé par Dima, donc Vitalic. Le morceau est sorti en 2001, et ça a vraiment été un gros tube. » En se replongeant dans l’année 98, on est obligé d’évoquer le premier track qu’il a réalisé avec Miss Kittin, Gratin Dauphinois. Une recette qui a littéralement changé sa vie. À son propos : « Caroline faisait partie d’une agence de DJs régionale, qui voulait faire une compilation regroupant leurs membres. Par manque de matos, elle m’a demandé qu’on fasse le morceau ensemble. J’ai évidemment accepté. » De là, les aléas de la vie ont agi en faveur du duo.

Avec ce titre, à contre-pied de la tendance qui se résumait à du « boum-boum », et qui sans le savoir « jetait les bases de [leur] style », Miss Kittin & The Hacker se retrouvent dans les petits papiers de l’Allemand DJ Hell. Sous le charme, il leur commande de nouveaux morceaux, avec une promesse de signature sur Deejay Gigolo, label qu’il s’apprête à créer. Les Français acceptent, et accouchent de Champagne!, un premier EP qui les pousse « d’une semaine à l’autre, à jouer tous les week-ends en Allemagne ». Désormais couvert par une assurance pécuniaire, The Hacker stoppe net ses boulots alimentaires et se consacre pleinement à la musique. Son premier album solo, Mélodies en Sous-Sol (1999), scelle définitivement son destin. Tout prend une ampleur nouvelle via le premier long qu’il confectionne avec Kittin. À la sortie de First Album en 2001, Michel Amato s’échappe du milieu underground.

Alors qu’en France la French touch règne de façon incontestable, Miss Kittin & The Hacker sillonnent l’Europe et « même les États-Unis » avec leur musique hybride, qui se voit engluée du nom « electroclash ». La hype explose, et Karl Lagerfeld décide d’immortaliser la paire dans une série de clichés qui, jusqu’ici, reste iconique. « Tout allait tellement vite se rappelle le DJ. Du jour au lendemain, on nous disait : “demain vous devez être à ce festival de NYC, mais avant il faut caler le shooting avec Jeremy Scott… Puis quand vous rentrez, vous jouez à Mayday devant 35 000 personnes !” C’était dingue. » Cette période « irréelle » subit pourtant un premier coup d’arrêt. Épuisé, le duo annonce un break début 2003, et l’electroclash, dépossédé de ses vertus musicales, s’essouffle. Michel Amato l’avait senti : « à partir du moment où on met une étiquette sur un truc, c’est qu’on est sur la pente descendante. » Plutôt que de la dévaler, le Grenoblois se rattrape à sa carrière perso.

En 2004, il transforme son essai solo avec Rêves Mécaniques, un album salué par les critiques spécialisées, qui oscille entre sonorités eighties et ce côté plus dark. Dans la foulée, les maxis et les remixes pleuvent, jusqu’à 2007, moment qu’il choisit pour retrouver Miss Kittin en studio. En marge de leur concert de réunion au Pont du Gard, ils décident de teaser leur retour avec le maxi Hometown. Mais pour la première fois, tout ne se passe pas comme prévu : « vers 2008, il y a eu un premier creux de la vague. La French touch 2.0 et la minimale cartonnaient… Et je me suis senti… enfin, je n’étais plus dans le truc… Tous ces mecs pompaient à mort Daft Punk, comme s’il n’y avait rien d’autre ! OK les Daft sont TRÈS importants, mais ça va ! » Malgré ce coup de frein après ces années traversées d’une traite, The Hacker ne courbe pas l’échine.

Saisi par l’impulsion nouvelle de la sortie de son deuxième album avec Miss Kittin, le plus clean, pop et accessible, Two, Michel Amato renoue avec l’expérience du label indépendant. Un an après la fermeture de Goodlife, toujours accompagné d’Alexandre Reynaud, il s’associe à un autre duo, Mike Lévy dit Gesaffelstein et David Rimokh, pour monter Zone. À l’origine, l’objectif était « de sortir les titres de Mike », un jeune de 25 ans, dont les gens n’ont cessé de souligner les ressemblances aux productions de The Hacker. Lui, préfère tempérer : « Gesa’ a rapidement emmené ses morceaux ailleurs et a remis tout le monde à l’heure ! » En gardant finalement sa ligne musicale, mais en s’alliant à cette nouvelle génération inspirée par un son qui lui est familier, The Hacker rebondit, et titille enfin cette French touch 2.0 qui l’a fait vaciller.

Plutôt que de tourner casaque face à ce phénomène, et pour souligner l’impact que son second label a eu dans la première moitié des années 2010, le Grenoblois se rappelle de la tournée hivernale “Nous sommes 2014”, création réalisée main dans la main avec les maisons Bromance et Marble. Il s’explique : « comme en 86, 87, la musique électronique a connu un autre très court instant où tout était unifié. La preuve, c’est que pendant cette tournée qui s’est baladée à Lyon, Lille et Paris, tu pouvais avoir sur le même plateau des artistes comme Brodinski, Gesa’, Surkin, et moi, sans que le public ne soit choqué ! Ces soirées folles symbolisent bien ce passage à l’ère post-Ed Banger. » Un faux air revanchard, The Hacker mentionne l’hégémonie du Social Club, « cette période devenue presque légendaire ».

Alors que Gesaffelstein monopolise l'attention, Michel Amato s’appuie sur Zone pour la sortie de son troisième disque, Love/Kraft. Conscient que le public « n’écoute plus d’albums », il innove en proposant un objet disloqué en deux parties : la première, rave, techno, apparaît au printemps, et la seconde, électro, soft, escorte l’arrivée de l’hiver 2014. Doit-on voir ici une pirouette pour anticiper la révolution streaming ? « Aujourd’hui les gens écoutent 20 secondes de musique avec Spotify, etc. Mais, c’était déjà le cas en 2014. Sans parler de stratégie, je voulais vraiment casser ce format traditionnel. » La presse souligne l’intention, et… c’est à peu près tout. Malgré une posture conquise à l’EBM, « qui jouissait alors d’une nouvelle cote », le projet demeure plutôt confidentiel, et l’aura du DJ se dissipe : « je jouais moins et j’étais moins bien payé. C’était une période de flottement qui a duré jusqu’à 2016. »

Maintenant que l’Hexagone vibre au rythme des BPMs de cette techno 2.0), dite, « plus sérieuse », et que le cyclique EBM phagocyte à nouveau les dancefloors, The Hacker repart pour un tour de piste. Gonflé de la lecture du Théâtre des Opérations de Maurice G. Dantec, qui se construit comme une critique acerbe de la société moderne, le producteur y va d’un disque du même nom, empruntant aussi au bouquin sa démarche dissidente. Plutôt que d’y voir une forme militante prononcée, que l’explicite Body Diktat met en exergue, il s’amuse à citer Desproges : « à défaut d’être engagé, je suis un artiste dégagé ». Ce qu’il faut retenir de cette sortie qui expose le Grenoblois, c’est le style quasi originel qui s’en dégage — comme si l’on doutait encore de sa fidélité à ses goûts.


Puisque « tout est une question de cycle », la possibilité d’une union nouvelle entre Kittin et The Hacker gonfle. C’est ce que l’on a appris en lorgnant sur les sites officiels des festivals estivaux ayant confirmé leur participation. D’abord, Nuits sonores, qui annonce un “album collaboratif à découvrir sur scène pour la toute première fois”. Michel, qu’en est-il ? « Effectivement on est train de terminer ce disque. On le présentera de façon spéciale, entre DJ-set et live. Le show durera presque 1h30, et on en profitera pour jouer des morceaux obscurs. » Après Lyon, la paire se rendra au Dekmantel. Les Hollandais, eux, parlent d’un “Hybrid DJ set” : « Caroline chantera sur des versions instrumentales, que l’on mixera, et moi, j’aurai un synthé de côté pour jouer quelques trucs. » Aussi, l’année prochaine, ils seront « peut-être, de retour avec un vrai live, comme on faisait avant. » La boucle est bouclée.



Crédits :

Texte : Jacques Simonian
Photos : Courtesy of © Jacob Khrist


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