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50 ans d'histoire, d'art et de courants alternatifs dans la capitale allemande avec le livre 'Berlin Calling'

Rencontre avec l'auteur Paul Hockenos

  • Camille-Léonor Darthout • Photo : Ben de Biel
  • 3 August 2017

Berlin, 1985. La ville est traversée par un monticule de pavés, érigé comme une barricade entre deux mondes. Sociétés, politique et créativité artistique sont divisées. Brimée d'un côté, libre de l'autre, sans contact et pourtant si proches. La chute du mur entraîne une réunification de cette singularité historique, une réunification des sociétés et des cultures. D'année en année, Berlin s'impose comme l'une des villes les plus attractives d’Europe grâce à sa fourmilière d'individus libérés, ses communautés diverses et subcultures multiples. Innovante et inspirée, la ville devient la matrice de nombreuses initiatives et mouvements musicaux et artistiques.

« Sur Köpenicker Strasse, un cul-de-sac fermé par le Mur, un des impresarios à tout faire de Berlin Ouest, Dimitiri Hegemann, venait d’ouvrir Fischbüro, ou Bureau Poisson. Un lieu de rencontre pour les amoureux de la musique et autres libre-penseurs qui, avec du temps à tuer, échangeaient des idées décalées et jouaient des sketchs dadaïstes. Les personnalités allaient et venaient, l’une d’elles n’était autre que Timothy Leary, le fameux psychologue américain, fervent défenseur du LSD. Le Fischbüro concentrait un service de rencontre alternatif, des cours de valse, un centre de thérapie relationnelle et dans son sous-sol, le premier club techno de Berlin Ouest dans un ancien abri anti-atomique.

Dans la cave, Hegemann allait ouvrir UFO, le premier club de Berlin Ouest complètement dédié à l’acid house et autres genres de musique électronique avant-gardistes, dont certains allaient bientôt porter l’étiquette de la techno. UFO n’eu jamais d’enseigne au dessus de sa porte, et les soirées UFO pouvaient aussi avoir lieu dans d’autres endroits de Berlin Ouest. Les lieux en question étaient annoncés dans une émission de radio hebdomadaire.

Personne ne se souciait du lendemain. »

C'est de ce contexte historique et de cette atmosphère inégalée que s'inspire l'auteur américain basé à Berlin Paul Hockenos pour la trame de son livre Berlin Calling. Une histoire bercée par une population mixte, traitée sous un angle inédit : les subcultures berlinoises d’Est en Ouest, d’avant et d'après la chute du mur. Un récit qui dépeint le monde underground, musical et politique des 50 dernières années de Berlin. Rencontre avec le journaliste et écrivain Paul Hockenos.

Parlez-nous de Berlin Calling. De quelle histoire relate votre livre ?

Berlin Calling, c'est à la fois de l’histoire, de la pluralité culturelle et un manifeste pour une démocratie érigée par nos propres moyens. Je raconte l'histoire de Berlin en train d'évoluer, de devenir une ville créative connue de part et d'autres du monde pour tous ses mouvements issus de la diversité culturelle et son histoire mythique, de la fin des années 60 avec la communauté d'amour libertaire Kommune 1, jusqu'au Berghain. Je dévoile comment les subcultures, du punk à la techno et bien d'autres, nuancent Berlin et font de cette capitale un endroit aussi attractif pour les artistes, les penseurs libres autant que pour le business. C'est là tout le paradoxe de Berlin aujourd'hui : le Berlin cool et bohème mais l'arrivée d'une gentrification dûe au business fleurissant, au tourisme en masse. La réification de tous les “alternatifs” provoque un étouffement des résidents pure souche à Berlin depuis toujours. Si cela continue, Berlin ne sera plus qu'une énième capitale européenne inaccessible et clonée sur les autres villes.

Le sujet de Berlin Calling, ce que vous venez justement de décrire, n’a jamais été traité auparavant. Qu'est ce qui vous en a inspiré ? Pourquoi ne pas l'avoir traité avant ?

J'ai commencé à comprendre l'importance des subcultures lorsque je me suis mis à les observer. Quand j'ai commencé à regarder ce que les Berlinois autant que les touristes convoitaient le plus dans la ville, comme les clubs dans des usines désaffectées, les marchés au puces funky, les galeries DIY et même les cafés. Les éléments à contre-temps rendent Berlin sauvage et les buildings abandonnés sont exactement ce qui fait défaut à des villes comme Munich, Paris ou encore Londres. De plus, il n’a jamais été question dans un livre de parler de Berlin Est et Berlin Ouest en même temps tout en mentionnant Berlin post-chute du mur. Beaucoup de ces bouquins ne mentionnent qu'une partie de l'histoire, aucun n’englobe la totalité. .

"La réification de tous les “alternatifs” provoque un étouffement des résidents"

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Comment pensez vous que la chute du mur de Berlin a influencé les subcultures ?

Eh bien, vous savez, toute cette fabuleuse scène artistique : la musique, le design, l’art n'avaient pas grand chose à voir avec ce qu'elle est aujourd'hui dans l’Ouest de Berlin. Cette scène était comme barricadée derrière le mur et la population Est et Ouest s'est vue écartée d’une population “allemande normalisée”. Dans mon livre je parle d'un groupe anarchiste venu de Berlin Est appelé Kirche von Unten, ou ‘En-dessous de l'Église’, qui a joué un rôle jusqu'alors inconnu et non-documenté dans le rôle de la Révolution Paisible. Il y avait des anarchistes dans la communauté Est, ce que peu de gens savent.

Pouvez-vous définir votre vision de la « Révolution Paisible »?

Bien sûr. Les révolutions qui ont mis à bas le mur de Berlin et le régime communiste de l’Europe de l’Est étaient pour la plupart paisibles. À l'exception de la Roumanie, les dictatures ont été abolies par des mouvements de non-violence venus d'en bas. Les régimes ont décidé de ne pas répondre par la force comme ils avaient pu le faire par le passé, mais plutôt de se soustraire de leur propre chef en ouvrant le bloc de l’Est à des élections libres.

"Il y avait des anarchistes dans la communauté Est, ce que peu de gens savent."

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Pensez-vous que la division de l’Allemagne continue d'avoir un impact sur la société allemande actuelle ?

Évidemment ! Le style et l'esthétique des “années d'anarchie” du début des années 90 est présente dans beaucoup de clubs, de bars, galeries, petits cinémas ainsi que dans les maisons d’art et le street art de Berlin. La période post-mur a engendré une grande créativité et beaucoup d'improvisation. Il y avait 130 maisons squattées dans un seul quartier où les jeunes venus de l’Est comme de l’Ouest et de partout ailleurs faisaient pleins d'expérimentations avec différentes approches propres à leur vision et mode de vie… La combinaison de ces modes de vie et de leur travail est devenue un nouveau style. Cet esprit continue d'exister à Berlin mais a été dilué dans la commercialisation. Les mouvements les plus innovants sont aujourd'hui sont les groupes d’anti-gentrification qui font appel au passé pour conserver une Berlin viable pour les artistes et les personnes à faibles revenus.

Pensez-vous que votre livre ‘Berlin Calling’ va être traduit en français ?

J'aimerais beaucoup, mais je n'en ai aucune idée. Mon éditeur travaille sur la question.

L'ouvrage Berlin Calling: A Story of Anarchy, Music, the Wall, and the Birth of the New Berlin est disponible aux éditions New Press ici.

Camille est rédactrice stagiaire à Mixmag France. Suivez-la sur Twitter.

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