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​Arrête ton char : pourquoi les frimeurs de l’after détruisent la rave

La culture de la surenchère est devenue la plaie de la scène électro

  • TEXTE: LOUIS ANDERSON-RICH I TRADUCTION : CLARK ENGELMANN | ILLUSTRATION: PATCH KEYES
  • 7 April 2017

Initialement paru sur Mixmag US.

Vous ouvrez les yeux, il est dix heures du matin, c’est dimanche. Dehors, des oiseaux chantent à gorge déployée, un léger mal de crâne vous rappelle la nuit passée. Même si vous avez peu dormi, ce sont toujours quelques heures de sommeil de gagnées. Vous envoyez un SMS à un de vos amis « Ça va? » La réponse ne se fait pas attendre « Toujours dans le game, bro ».

Lundi matin, sur le groupe Whatsapp, les détails du weekend fusent dans tous les sens. Sans surprise, l’inévitable « Bah où t’étais ? » finit par arriver. Quand vous répondez que vous êtes rentré chez vous à trois heures, la conversation se calme soudainement. Tout le monde a vu et lu votre réponse, comme l’indiquent les deux petites coches bleus à côté de votre message. Silence. Puis on vous traite de « rabat-joie ».

Les réponses apathiques de ce genre sont hélas monnaie-courante quand vous adressez ce genre de déclaration à votre groupe de potes. Attendez-vous à un haussement de sourcils la prochaine fois que vous les verrez, l’invitation aux festivités du week-end prochain sonnera certainement moins enthousiaste. Vos amis sont en droit de se demander si votre avis sur le dernier set de Luca Lozano compte vraiment. Après tout, vous étiez absent ; où étiez-vous pendant que vos collègues consumaient leurs points de vie en tirant sur des cigarillos sans filtre alors que l’after battait son plein… Attendez une minute ! La dernière fois que j'ai vérifié, le statut de fêtard était totalement indépendant de la connaissance ou de l’amour qu’on porte à la musique.

Un peu plus tôt ce mois-ci, mon collègue Funster a eu l’audace d’écrire un article suggérant que, de temps en temps, cela pourrait être une bonne idée de ne pas sortir. La profusion d’événements autour de nous est telle que, rapidement on se sent obligé de tous les faire. La FOMO (ndlr : Fear Of Missing Out, expression contemporaine anglo-saxonne qui se traduirait en français par « l'angoisse de tout rater ». Cet état de conscience est en grande partie engendré par l’hyper-connectivité dont nous sommes à la fois les tristes bénéficiaires et les victimes consentantes) est un sentiment puissant après tout. Il ne suggérait pas de ne plus sortir. Il suggérait plutôt, à juste titre, que détruire son corps chaque week-end au nom de la sacro-sainte fête, finira tôt ou tard par vous rattraper. Il fallait voir la pluie acide de commentaires qu’a suscité sa remarque pourtant judicieuse et censée. Commentaires du type « Frimeurs de l’after », « Bien sûr, vous n'avez pas besoin de racler le fond du baril ... », « J’peux pas le saquer » et, mon préféré (citant une partie de l'article susmentionné): « Pendant la journée, je fais du sport, je joue au squash et je prépare le dîner pour mes collocs XD hahahahahahahahaha! » C'est comme si le fait d’avoir une vie sociale en dehors du périmètre sonore défini par le caisson de basse avant-gauche était punissable d’exclusion de l’Internet.

C'est ce genre de comportements qui fait que bien souvent les amateurs de musiques électroniques se retrouvent prisonniers de cet éternel concours de champion de l’after. Nous avons tous croisé au moins une fois le chemin d’un fanfaron de l’after, ce genre de comportement n’est hélas pas exclusif aux ados accros au Smirnoff Ice. Je vous mets au défi de me trouver quelqu'un qui n'a pas été confronté aux questions du type : « combien de bouteilles de vodka ils ont bu », ou « l’heure tardive à laquelle ils sont rentrés chez eux ». On compte tous dans notre groupe d’amis un fanfaron de l’after qui guette le moment propice pour poser toutes ces questions.

Connaisseurs d’électro autoproclamés, ce n’est pas la curiosité qui motive leur démarche mais plutôt l’envie d’humilier et d’écraser les autres frimeurs du groupe. Dans leur conception des choses, sortir toute la nuit fait d’eux de véritables fans. En vérité, ces individus sont animés par la peur de s’endormir, celui qui s’endort se réveille et le réveil est synonyme d’un dur retour à la réalité. Cette joute permanente alimentée par la testostérone n'est qu'un énième exemple de la bro-mogénisation de la culture électronique.

Pas la peine d’être un fin connaisseur de house pour avoir entendu parler de David Mancuso et des « week-end parties » qu’il organisait dans son loft. Ces fêtes qui s’étendaient sur tout le weekend et pendant lesquelles pleuvaient les stupéfiants, ont vu le jour pendant le second summer of love. Jusqu’à la fin des temps, il y aura des personnes qui repousseront les limites du « 21 heures - 5 heures » à grand renfort de produits chimiques. Prendre le chemin de la rave pour une nuit ponctuelle est une chose magnifique, au même titre qu’un aspect à part entière de la culture électronique. Regarder jouer votre DJ préféré, flâner, sortir du club à 6 heures du matin pour poursuivre en after, sont des souvenirs inoubliables. Mais ces nuits n’arrivent pas tous les week-ends. Je m’excuse donc d’insister et de rentrer chez moi un peu plus tôt. N’oubliez pas que c’est possible de passer un bon moment la nuit, en étant inspiré par la musique, la foule et le club tout en profitant de son lendemain matin.

Pour ceux qui veulent sortir coûte-que-coûte, je comprends. Loin de moi l’idée de forcer les gens à rentrer tôt tous les soirs. Je n'essaie pas non plus d’étouffer la vie nocturne qui anime les villes, ces même villes qui réalisent souvent trop tard qu’elles doivent en prendre soin. Les clubs doivent offrir et offrent un lieu pour celles et ceux qui veulent s’échapper et être eux-mêmes. Mais quand plane déjà l’ombre de l’addiction et de l’angoisse, que les DJs eux-même se confient sur l’impact négatif de la fête sur leur santé, une prise de conscience est nécessaire. Il ne faut pas cultiver une culture où les gens se forceraient à passer un bon moment pour impressionner la galerie ou se sentir accepté dans un groupe. Bwana veut vous donner le corps d'un dieu grec, le choix d’être en bonne santé n’appartient qu’à nous, la musique n’en n’est même pas affectée.

Dans une réflexion sur les origines de l’Acid House, Mark Moore de S’Express déclarait au journal anglais The Guardian : « Je ne pense pas que les jeunes aujourd’hui réalisent que c’était un mouvement totalement contre-culturel et révolutionnaire. Ça a changé, c’est même révolu de sortir, pour ouvrir son esprit tout en passant un putain de bon moment. Maintenant c’est simplement pour se déchirer la tête, c'est un peu triste. »

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